Le « Temps qui passe » dans les jeux de stratégie.
Mon propos visait initialement à compléter le billet « Une Histoire de Mode » en soulignant les éléments clefs qui confèrent au système WEGO, et donc au mode de jeu en PBEM, une saveur pour ma part toute particulière et sans égale.
Et puis chemin faisant dans ma tête -et vous le ferez peut-être vous aussi le même chemin en observant dès la deuxième ligne les termes barbares « WEGO » et « PBEM », hermétiques aux non-initiés- je me suis dit qu’expliciter tout cela ne mangeait pas de pain et pour ce faire, pourquoi ne pas restituer le système WEGO dans la grande famille des « façons de gérer le temps qui s’écoule » dans le domaine du jeu de stratégie ?
Je n’irai pas jusqu’à vous proposer quelque chose d’encyclopédique sur la question, et me contenterai même de m’appuyer sur les exemples que je connais déjà, sans faire œuvre de recherches complémentaires. En étant ainsi partiel, j’épargne ma sueur en même temps que j’appelle aux compléments ou rectifications via les commentaires. Lapin Malin !
Il me semble que c’est pour sa simplicité et parce qu’il ne suppose aucune contrainte technique que le système de « Tour alterné » est la plus ancienne et le plus durable manière de gérer le temps et l’action dans les jeux. C’est ni plus ni moins que le système qui gouverne les Échecs où le Jeu de Dames, et qu’on retrouve en tant qu’ossature de l’ensemble des jeux de société traditionnel. Chacun joue à tour de rôle et tandis que celui dont c’est le tour officie, l’autre est inactif et subit passivement les actions de son opposant. Ceci fait, on inverse les rôle avant de clore le « Tour de jeu » et de débuter le suivant de la même manière jusqu’au terme de la partie.
On ne s’étonnera donc pas que ce système intuitif ce soit répandu au cœur des wargames les plus classiques et les plus anciens, et que le « tour de table » soit sa conséquence la plus naturelle si l’on joue à plus de deux. Ce système de segmentation du temps demeure d’ailleurs toujours le plus adapté pour les jeux dont les compétiteurs concourent à un même objectif, mais dont les actions n’interagissent pas (comme le jeu de l’Oie par exemple, où les actions du premier joueur ne gouvernent en rien ceux du second, sauf pour mettre fin à la partie).
Mais l’innovation n’étant pas absente des esprits des concepteurs de jeux, le « Tour par tour alterné » verra son hégémonie progressivement écornée, en particulier lorsqu’il s’agit de simuler le réel.
Ainsi, tout en restant par principe en tour par tour et sans complètement saborder la mécanique de l’alternance (pour des raisons techniques souvent), un certain nombre de raffinements divers vont s’emparer des systèmes. J’en relève certains, sans les hiérarchiser :
- Le Chronométrage: On le trouve déjà comme élément des compétitions
de Jeu d’Échecs, où le chronomètre fait figure d’arbitre de l’équité des conditions de jeu. Mais on le trouve également comme élément intégré de Gameplay, lorsqu’il s’agit de créer des « conditions d’urgence », propres à plonger le joueur dans un état mental particulier, qui sert l’expérience de jeu. Space Hulk par exemple, attribue 3 minutes au joueur Marine pour accomplir son tour, tandis que son adversaire Alien n’est pas limité. L’intention est d’introduire chez le joueur défavorisé un handicap apte à susciter l’angoisse, mais aussi à l’obliger à trancher rapidement, sans avoir le loisir d’échafauder une solution infaillible. Le chronomètre ne change en rien les rouages du tour/tour alterné. Le « temps continu » s’introduit autour de la table, non sur le plateau. Il fabrique un « état mental » chez le joueur et facilite l’identification.
- Le système d’ « impulsion » : Les wargames segmentent généralement les tours en plusieurs phases et ce n’est qu’après que chaque joueur ait exécuté toutes celles de son camp que le tour est réputé achevé, et qu’il est ainsi possible de passer au suivant. L’idée assez naturelle de l’ « impulsion » (il existe d’autres termes) est de multiplier les motifs d’alternance entre joueur actif et joueur passif en permettant de (ou obligeant à) « rendre la main » à son adversaire à l’issue d’une phase plutôt qu’à l’issue d’un tour. Cette alternance peut être prédéfinie et invariable (Joueur A joue phase 1 puis joueur B joue phase 1 ; joueur A joue phase 2 puis joueur B joue phase 2 …ect), conditionnée aux résultats de jeu (par ex: joueur A peut enchaîner avec Phase 2 sans rendre la main si un résultat favorable est obtenu en première phase ; c’est le principe de l’ »exploitation »), asymétrique
(un camp seul bénéficie d’une phase), partielle (activation d’une partie seulement des unités) encore à l’initiative d’une décision tactique d’un des joueurs, prévue par les règles du jeu. On trouve un exemple de ce dernier cas dans le jeu de simulation aérienne « Mustangs » où l’ordre dans lequel les joueurs sont actifs peut-être à tout moment inversé par celui qui dispose du marqueur « initiative ». En choisissant d’inverser à un moment qu’il juge crucial l’ordre de jeu, il donne ce marqueur à son adversaire qui peut donc « garder au chaud » le marqueur, ou à nouveau inverser l’ordre dès la phase suivante.
- « Le Tour à terme indéterminé » : Cette fois il s’agit de fabriquer de l’incertitude en offrant la possibilité de bouleverser le contenu d’un tour, qui n’inclura donc pas nécessairement le même nombre de phases que le précédent. Le terme du tour peut-être fixé de manière aléatoire (par exemple, dans Europa Universalis sur table chaque fin de phases de combat fait l’objet d’un jet de dé. Si le résultat est supérieur au nombre de phases déjà jouées, le tour se poursuit. Dans le cas contraire, il s’arrête) ou conditionné aux événements qui se sont produits (un tour s’achève lorsque tel résultat ou événement se produit, ou encore un événement se contente d’apporter un modificateur à un jet de dé. Le terme est alors semi-aléatoire)
Toutes ces subtilités, et j’en oublie sûrement, visent généralement à accroître la simultanéité des actions opposées de manière à approcher autant que faire se peut d’une simulation du temps continu, où tous agiraient au même instant, sur le plateau aussi bien qu’autour de la table.
Par analogie avec le procédé cinématographique, il s’agit d’accélérer l’alternance des phases, tout comme le défilement de la pellicule, de telles sorte qu’à partir d’images fixes on ait l’illusion du mouvement continu.
Sous cet aspect, le jeu traditionnel est toutefois resté soumis à un « plafond de verre ». Il ne paraît pas techniquement possible à plus d’une personne à la fois d’agiter les mains sur un plateau de jeu sans télescoper celle de son adversaire et surtout, sans contestation du bien fondé des actions exécutées au regard du temps qui passe « en jeu ».
Et l’informatique fût, du moins finit par permettre. Evénement majeur puisqu’au delà du déplacement du support sur l’écran, l’ordinateur est un « arbitre tiers » dont on ne saurait contester l’impartialité, et qui dispose d’assez de ressources pour tenir un chronomètre en même temps qu’il règle immédiatement -et sans parti-pris- les interactions complexes qui pourraient sans cela donner lieu à litiges.
Le temps qui passe autour d’une table fait une entrée fracassante sur le « plateau » de jeu. Ce temps n’est pas tordu, modifié, accommodé, abstractif..c’est tout simplement le même « Temps ».
Le STR (Stratégie Temps Réel) ou RTS explose littéralement pour presque immédiatement se hisser au rang de Genre Majeur, portée par une popularité immense. Pensez-donc ! C’est tout simplement du jamais vu et tout simplement du « pas possible autrement » en terme de temporalité sinon en allant soi-même empoigner un casque et un fusil pour aller gambader dans les champs en « même temps » que des copains décidés à vous trouer la peau.
Pourtant, bien que dominant, le STR n’a jamais complètement balayé toutes les autres options. Ainsi, contrairement à ce que son apparition pouvait laisser supposer, le STR n’est pas (ou n’est plus) un accomplissement ultime, un raffinement incontestable, suprême et sans concurrent majeur en matière de stratégie. Certains concepteurs se sont avec beaucoup d’astuce et d’une certaine façon paradoxalement servis du « Temps réel » pour enrichir le vénérable et -parfois jugé moribond- tour/tour.
Le STR contient en effet et par essence un certain nombre d’attributs propres à froisser les penchants des amoureux de la stratégie réflexive et contemplative. Puisqu’avec le STR, le temps qui passe s’écoule de la même façon à l’écran que lorsque vous sirotez votre café, il ne supporte ni pause ni temps « suspendu ». Le STR peut bien souvent être « pausé », mais la chose suppose un accord préalable délicat entre adversaires et surtout « Il ne saurait rien pouvoir être fait lorsque le temps ne s’écoule pas, puisque temps et action sont indissociablement liés ».
En somme et de façon frustrante, le STR impose de penser au rythme où l’on fait et faire au rythme où l’on pense…et souvent très vite, au risque qu’un jeu soit catalogué comme « soporifique ».
Et le « WEGO » vint comme un baume pour apaiser les douleurs des contemplatifs, mal dotés de capacités psychomotrices, et qui souffrent d’être mis à l’écart des vertus indéniables du temps réel en matière de simulation. En outre, il s’affiche en recours lorsque la démesure des champs de bataille et du volume à gérer poussent la « réflexion-action » dans des retranchements que nous qualifierons de biologiques.
Après le traditionnel « Je réfléchis et fais à mon rythme puis tu réfléchiras et feras de même de ton côté » du tour par tour, puis le « Nous réfléchissons et faisons ensemble au rythme du temps qui passe, variable universelle, et qui s’écoule toujours trop vite » ; le WEGO invente le « Je réfléchis et prévois à mon rythme, tu fais de même en même temps de ton côté, et nous observons ensemble et en temps réel le résultat de nos actions ».
WEGO est le terme qui reflète cette conception : « WE-GO » : « Nous y allons ensemble »…mais tour par tour. Ceux qui s’essayent à le qualifier en français parleront de « Tour par tour à résolution simultanée en temps réel »
Si le système WEGO s’est emparé non seulement de Combat Mission mais également d’autres productions vidéoludiques, c’est pourtant dans le premier que j’y éprouve les plus riches sensations.
Mariage harmonieux et sans pareil entre phase de réflexion placide, anticipation mentale inquiète et phase d’action trépidante, je n’ai pas trouvé d’autre jeu qui parvienne ainsi à me lier étroitement et intimement à la destinée de petites formes pixelisées.
Et c’est sans doute le seul mode où je jure, encourage, peste, jubile -et rembobine Ad nauseam pour saisir un Panzerfaust en pleine course- comme si les événements étaient ceux du moment présent, alors que ce sont finalement ceux d’un passé déjà écrit et que par conséquent, le jeu restera toujours sourd à mes injonctions…jusqu’au tour suivant.
Rappel du fonctionnement du WEGO dans Combat Mission: Chaque tour est une tranche de 60 secondes de temps réel. Le tour comporte une phase d’ordres « arrêtée », que chaque joueur accomplit de son côté en toute quiétude: il attribue ainsi des ordres et comportement à ses unités (mouvement, tirs programmés, dissimulation…) qui constituent les attitudes projetées pour la phase d’action à venir. Au terme de cette phase, l’ordinateur combine les ordres des deux camps et résout les « frictions » entre les comportements des unités opposées. Chaque joueur peut ensuite observer une vidéo du résultat des 60 secondes du tour, et la revisionner à volonté sous tous les angles souhaités, avant d’achever le tour et d’entamer une nouvelle Phase d’ordres pour les 60 secondes suivantes.
Bonjour,
Très bonne lecture 🙂 merci
Je vous suit depuis quelques temps, quel plaisir de trouver des joueurs français passionné par Combat Mission!J’ai commencé sur Shock force et depuis peu sur Normandy
Et maintenant j’aimerai m’essayer au PBEM en multi, si cela interresse quelqu’un ? je suis prêt a faire quelques tours par semaine. Vos récits de combat mon donner envie de s’affronter avec de vrais joueurs!
J’attend la sortie de Gustav line avant d’acheter fortress Italy
Sur ce bonne continuation
Au plaisir de vous lire
Bienvenue à Bord Dawoox 🙂
Un PBEM ? Sans problème pour moi (mais je ne veux pas m’accaparer la primeur, laissons la fin de journée pour que quelqu’un me chipe éventuellement la place)
Ceci dit, sans présumer de ton adversaire, il y a déjà des scénarios qui te font de l’oeil ? A moins que tu ne sois plutôt Quick Battle ?
Pour Fortress Italy, tu devrais effectivement en attendant un poil bénéficier d’un bundle préservant quelques euros. Une bonne idée, surtout si tu as encore la presque totalité de Battle for Normandy à découvrir.
La réciproque est aussi vraie: au plaisir de lire de nouvelles interventions/commentaires…billets ? 😀
Re, Carlos
Tous les scénario de Normandy me conviennent j’ai une préférence pour last stand, bloody dawn, le desert et autres…
Deville ou Vierville me parait un bon commencement avec ensuite un Buying the farm
Je connais moins bien ceux du Commonwealth mais il y a surement du très bon scénario
Pour infos je suis la version 2.01 sur MAC
Je n’ai jamais joué Bloody Dawn ni Le Desert (qui souffrait d’un souci pour démarrer un PBEM en 1.1, faudrait vérifier si ça a été solutionné).
Par contre, j’ai déjà joué Last Defense (s’il s’agit de « Last Stand ») une fois côté allemand, Deville deux fois en multi (une de chaque côté), de même pour Vierville (une fois) et Buying the Farm (3 fois).
Je n’ai à priori rien contre rejouer ces scénarios qui sont tous de qualité mais il est vrai que l’avantage de la connaissance rend logiquement plus « roublard » et confère un avantage souvent significatif et indu.
Sinon, De la même manière que toi, j’ai beaucoup moins puisé dans les ressources de Commonwealth Forces. A titre personnel, je pense qu’il est intéressant de creuser par là.
Si la version (2.01) est une information d’importance pour se caler avec le bon partenaire, la plateforme ne « joue » heureusement pas. Les fichiers PBEM PC et MAC sont parfaitement compatibles. Il est donc possible de jouer multi-plateforme entre un PC et un MAC (par contre, le joueur MAC a parfaitement le droit de mépriser son adversaire sur PC, qui de son côté peut lui répondre en le menaçant de le pendre à la lanterne lors de la « prochaine ». 🙂
Très bonne idée pourquoi pas essayer les scénarios du module British!
Sachant que c’est vrai que nous risquons d’etre frustré rapidement sur les scénar de Normandy, j’ai deja fait le tour plusieurs fois.
Dit moi si tu est d’accord pour debuter une partie cette semaine, je possede un compte Dropbox pour faciliter nos echanges de fichiers.
Aucun problème, on peut y aller dès maintenant. 🙂
Pour info, j’ai déjà joué « Seven Winds » (côté Alliés), « Linking up & Breaking Out » ‘(côté allemand), « Valleys of decision » (idem), et « Keep Calm & Carry on » (idem).
Le reste est de la « grande inconnue », en solo comme en multi (sauf lecture des briefings, logiquement). Ça laisse donc tout de même un bon panel.
Je te laisse volontiers choisir un scénario parmi les autres et le camp qui te convient le mieux. On peut probablement débuter dès ce soir si tu veux, au moins le déploiement.
Oui,
Tu as vu mon mail sur mon pseudo?pour me contacter directement?
Je vais regarder les scénario plus tard la ce soir je n’aurais pas le temps, demain peux etre!
On se tient au courant par mail
Salut,
Mon choix ce porte sur « Sticking It Out », je prépare mon tour et te l’envoi sur dropbox ( je t’ai envoyé une invitation par mail
A plus tard
Tiens, tant que j’y pense, ça te dirait de faire un AAR « croisé » sur ce scénar ?
Ne te sens nullement obligé si tu n’as pas le temps ou l’envie, mais si par contre ça te tente, je fais fonctionner la machine à prendre des images de mon côté.
J’ai déjà convenu de la même chose avec Sergent Chaudart sur « Linking Up & Breaking Out » mais on a un petit retard à l’allumage de la partie. Du coup, ya un créneau.
S’ajoute à cela que la carte de « Sticking it Out » à une physionomie assez claire et « typée », je pense que ce devrait être assez facile à raconter sans trop de screens ni de blabla.
Bref, comme tu le sens… 🙂
Tu le rejoues (linking up…)
Tu as pris quel camp?
Le même; Allemand; en cas de défaite, j’ai en effet pris l’habitude de tendre l’autre joue en espérant une ouverture pour fiche un coup de savate dans les parties. 😀
Sergent Chaudart est au courant que je l’ai déjà abordé contre toi.