…Ou comment perdre sa femme et tous ses amis en un après-midi »
Diplomacy (ou Diplomatie pour certaines versions françaises et « Diplo » pour les intimes) est un jeu de plateau créé dans les années 50 par Alan B. Calhamer (décédé cette année) qui subira quelques modifications et précisions successives pour prendre une forme définitive à la fin des années 60.
Ce jeu, en plus cinquante années d’existence, conserve une popularité jamais démentie. Il a la réputation d’avoir été tout simplement le jeu favori de personnalités telles que JFK ou Henri Kissinger. De nombreuses communautés sur le Ouèbe proposent tournois, analyses et jeu en ligne par E-mail.
Nous n’avons pas là affaire à un banal jeu de société ou le hasard des dés régit la résolution des actions. Nous n’avons pas non plus affaire à un équivalent du jeu d’échec ou de Go, dans lesquels la perfection tactique assure la victoire.
CONTEXTE
Pour le décorum, Diplomacy réunit sept joueurs qui tiennent chacun les rennes d’une puissance européenne majeure à l’aube du Vingtième siècle. Le but de chaque joueur est la conquête d’au moins la moitié de la carte et/ou bien sûr empêcher tous les autres d’arriver à cet objectif. Mais il est virtuellement impossible de seul et chacun devra alternativement chercher l’aide de son prochain, lui apporter la sienne et finir nécessairement par trahir et être trahi. Il n’y a in fine qu’un vainqueur, et six perdants. L’époque et le thème n’ont par ailleurs aucune importance véritable car Diplomacy ne prétend absolument pas être une simulation stratégique.
Diplomacy est un jeu-phénomène où la négociation, la force de conviction, la dissimulation, le double-jeu, le bluff, la confiance, la trahison sont constamment mis en œuvre pour qu’un des sept joueurs remporte finalement la victoire.
Ce qu’il faut retenir avant toute chose est que ce jeu plonge généralement ses participants dans des jeux d’interactions si riches et troubles qu’ils viennent flirter avec les relations « hors jeu » que les personnes ont nouées entre elles. Il est chose vérifiée que des amis se sont durablement brouillés et que des couples se sont déchirés pour ce n’est finalement qu’un jeu, mais diablement prenant.
A titre personnel, je me suis plus d’une fois surpris à littéralement trembler, suer, le cœur au bord de la crise cardiaque et jeter des regards torves aux autres participants (qui me le rendaient) quelques secondes avant la résolution simultanée des actions secrètement rédigées ( « l’Anglais m’a t’il cru ? L’Allemand m’aidera t’il comme il l’a promis ? Il y a t’il finalement connivence entre les deux à mon insu ? Ma trahison sera t’elle couronnée de succès ou ont-ils flairé le coup pour me trahir MOI ? Ai-je pu faire croire aux deux que je les aiderai pour qu’ils se paralysent finalement l’un et l’autre tout en préservant leur confiance ? »)
…Il est bien évident que j’étais alors, dans cet état de crise physique et psychologique majeur, pourtant tranquillement affalé dans un fauteuil !
PRINCIPES DE BASE
La résolution des actions sur la carte est d’une simplicité extrême : chaque armée ou flotte se déplace d’une case par tour pour entrer dans une zone adjacente libre ou attaquer une zone occupée par quelqu’un d’autre.
Des cases un peu spéciales (les arsenaux, désignés par un rond noir) permettent à ceux qui les tiennent de bénéficier d’une armée supplémentaire par arsenal tenu. Chaque nation a donc au fur et à mesure du jeu autant d’armées que d’arsenaux (le décompte est fait tous les deux tours). Le but du jeu est pour chaque nation de posséder -seule- 18 arsenaux sur les 34 du jeu, soit plus de la moitié.
Principe de combat :
-Deux armées contre une ( ou 3 contre 2, 4 contre 3…), je gagne, prends la province et oblige l’adversaire à reculer
-Un contre un ( ou 2/2, 3/3 etc…) chacun reste chez soi
-Un contre deux, je recule…
On peut difficilement faire plus simple…ce qu’il faut par contre retenir, c’est que pour chaque combat, chaque unité en lice peut être d’une nation différente. Une armée anglaise peut donc aider un armée française à prendre une position allemande ou au contraire soutenir l’allemand pour éviter d’être délogé…ou encore aider l’allemand à déloger l’anglais etc…On peut très bien aussi aider quelqu’un à un endroit, et se confronter à la même personne à un autre au même moment !
1-Phase diplomatique :
Tout cela se discute publiquement ou plus souvent secrètement lors de la phase diplomatique de chaque tour. Chaque joueur durant cette première phase pourra (et je dirai même devra s’il ne veut pas s’isoler) communiquer avec tous les autres joueurs, en s’isolant à deux ou en petit groupe (prévoir plusieurs pièces pour ce faire; étant convenu que l’acte d’écouter aux portes est parfaitement licite) pour solliciter l’aide des autres, convenir d’actions communes ou encore prévenir les alliances fomentées contre lui, jouer les troubles-fêtes, conseiller, informer, intoxiquer, préparer des trahisons…
Tout peut être dit ou même écrit mais bien sûr, personne ne sera tenu de respecter ses paroles ou les traités qui portent sa signature.
Vous l’imaginer, le jeu par E-mail est particulièrement approprié à cette phase et dispense de devoir réunir six de vos futurs ex-amis chez vous.
2-Rédaction des ordres :
Chaque joueur rédigera sur une feuille individuellement et secrètement les ordres de chacune de ses armées. On pourra donc respecter ce qu’on a convenu ou faire tout autre chose ou encore un savant mélange des deux. Personne n’aura connaissance des ordres des autres sans avoir rédigé les siens….
La tension monte alors et tout le monde se posera, la mâchoire crispée et les nerfs éprouvés, les questions du type que j’ai évoqué plus haut.
3-Résolution des actions :
Tous les ordres sont dépouillés simultanément et c’est là qu’on aura enfin la réponse à ses questions. On saura si ce qui a été convenu à été respecté ou si au contraire celui qui fait des ronds de jambes depuis une demi-heure pour solliciter votre alliance vous aura en fait trahi en vous attaquant par derrière. Un exemple type est un échange de service réciproque (tu m’aides à prendre cette province et je t’aide à prendre celle là ) qui se concrétise par un « oubli » d’un des joueurs dans sa feuille d’ordre, amenant à l’échec de l’attaque de son allié (2/1 devenant 1/1); quand se sont les deux qui se sont « oubliés », il y a trahison réciproque sans bénéfice pour personne.
La résolution des actions, conformément aux principes exposés plus haut, se fait facilement et sans appel au hasard : « 2 contre 1, ça gagne… »
Tour suivant
On entamera le tour suivant avec le passif du tour précédent. Doit-on faire amende honorable quand on a trahi ? La situation commande t’elle qu’on doive pardonner une trahison pour réclamer un appui ? Doit-on un tour de plus faire confiance à un allié qui s’est montré fidèle le tour précédent ?…Tout redémarre à zéro, le « passif moral » en plus !
ALLEZ-Y MOLLO
Seuls ceux qui y ont déjà joué pourront confirmer la tension nerveuse inouïe qui règne autour d’une table de Diplomacy. Après de nombreuses parties et malgré quelques succès (et des échecs), je choisis aujourd’hui de préserver ma santé mentale -et les relations avec mes proches- en limitant très fortement leur fréquence.
Jouer en ligne, pour rien (à l’exception des frais induits par un ulcère précoce)
Une fois assimilées les règles du jeu, vous trouverez sur Diplomatie-online.net (il existe de nombreux autres fansites importants, comme 18centres.com mais celui là est majeur et toujours actif après plus de dix ans d’existence) tout ce qui vous sera nécessaire pour prendre langue avec des adversaires et résoudre la totalité des actions. Le site inclus un simulateur qui vous permet de visionner la carte et résout automatiquement les interactions des ordres de jeu, une messagerie pour les missives (il peut être en effet pertinent de ne pas utiliser votre boîte mail qui pourrait être refilée à tous les spammeurs du monde par un adversaire vindicatif -et je parle sérieusement !), des articles, des conseils, des statistiques, un forum, ect…
Pour les curieux, un détour par l’article Wikipédia peut ne pas être inutile. Je vous propose aussi de parcourir une succession de missives (et réponses) relatives à un début de partie que j’ai publié il y a déjà pas mal d’années. Enfin, il y a eu des tentatives pour porter le monument ludique sous la forme d’un jeu PC solo (de Paradox en particulier)…avec des IA pour adversaires. Vous l’aurez compris, ce genre d’exercice, étant donné que le coeur du jeu réside dans le jeu des interactions humaines, est à peu près à Diplomacy ce que le 3615 Ulla est à l’Amour.
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Pour finir, quelques exemples d’échanges qu’il est possible de surprendre dans une partie de Diplomacy -S’ils sont fictifs, ils sont pourtant parfaitement vraisemblables !
1- Une géographie opportunément approximative
-« Ah ben c’est malin, pour la Belgique tu as écris BLG sur ta feuille au lieu de BEL. Du coup, ton soutien n’est pas validé et mon attaque foire lamentablement !
-« Rooooh, zut, mais c’est pareil nan ?
-Bah nan, l’abréviation autorisée c’est « BEL », « BLG » ne correspond à rien, pffff
-Ah mais c’est balot ça, je te jure que j’ai pas fait exprès…
Il convient d’être strict sur les écritures, car si les autres joueurs devaient « accorder » BLG » au lieu de l’abréviation officielle BEL pour BELGIQUE, qui sait si c’est rendre grâce à l’intention véritable de celui qui a commis l’erreur ? Est-il étourdi, négligent…ou pervers ?
2- Une main toujours secourable (mais qui pique un peu quand même)
« Putain mais j’en ai marre, ça fait trois tours qu’on est alliés et trois tours que tu m’attaques !
-Ecoute, il faut que je te dise quelque chose que tu ne savais pas. C’était impossible de t’en parler avant. J’ai vu tous les autres et tout le monde voulait te tomber sur le râble. J’ai du jouer finaud pour te préserver en parvenant à les convaincre que je prenais seul les choses en main. Ça n’a pas été facile. Ainsi, tu n’as perdu qu’un seul arsenal au lieu de 3 ou 4 assurément si tout le monde s’y était mis. J’ai fais tampon en quelque sorte. Le problème est que tout le monde sait que tu es le plus malin d’entre nous. Ils se méfient comme c’est pas possible de toi. Autant dire qu’ils se pissent dessus.
– Nan, c’est vrai ? sans blague ?
– Bien sûr, tu n’imagines même pas mes efforts pour les détourner d’une alliance générale contre toi. Ils sont tous convaincu -à juste titre- qu’avec ton intelligence tu es celui qui a le plus de chance de gagner. Evidemment, j’ai du leur donner le change en t’attaquant, histoire qu’il ne se doutent pas qu’on est du même côté. Ils ne m’auraient pas cru sans cela.
-Ah oué, carrément, j’avais pas vu ça comme ça… et maintenant ?
– J’espère avoir endormi leur méfiance. Je pense que grâce à mon action ils ne te considèrent plus comme une menace immédiate. On va pouvoir aller de l’avant maintenant, mais doucement.
– D’accord…pfiou, je l’ai échappé belle…et merci pour tout ce que tu fais pour moi hein !
-Nan, je t’assure, ça me gène, c’est naturel. il n’y a vraiment pas de quoi. »
3- Schizophrène, mais homme de parole !
-« Tu peux m’expliquer l’intérêt que ta première armée soutienne mon attaque sur la Belgique et que ta seconde armée soutienne le défenseur Belge ? Deux contre deux ça foire du coup
-Je t’avais promis que tu aurais mon soutien contre la Belgique. Ai-je dit davantage ? Peux-tu prétendre que j’aie manqué à ma parole ?
4 – « Mauvaise joueuse »
« – Mais, tu m’as dit en me regardant droit dans les yeux: » je t’aime, me crois-tu capable de te trahir ? »
-Mais chérie voyons, c’est un jeu, ça fait partie du principe voyons !
« Mais…tu as juré sur la tête des enfants ! »
-Roooh, chérie, ce n’est qu’un jeu, tu prends vraiment les choses beaucoup trop au sérieux.
5 – Pourquoi se battre lorsqu’il suffit de prendre les gens pour des cons ? Sur un malentendu, ça peut marcher
« Dis-voir, c’est couillon, il me manque une armée au nord alors que toi tu as celle là qui te sert à rien. Ce que je te propose, c’est que tu me prêtes un de tes arsenal pour cette année. Comme ça, j’aurai une armée de plus pour que notre alliance soit vraiment efficace. Ca rééquilibre les fronts. Dès l’année suivante, je te le rends. Tu vois le truc ?
-Bon, ok, je me retire d’Espagne et te laisse t’y installer…mais tu me le rends après hein ?
-Mais voyons, évidemment !
6 – Drame du surmenage
« Ouf, quelle phase Diplo ! J’ai vu tout le monde au moins deux fois et n’ai pas arrêté de pipeauter. Quelle gymnastique ! Ça donne le tournis et ça m’a donné soif ! L’essentiel est tout de même là :je crois être parvenu à convaincre le Russe et le Turc de se partager en trois l’Autriche-Hongrie.
– Vraiment ? cool.
– Et toi, tes affaires tournent comme tu veux ? »
-Plus ou moins, je dois avouer que j’ai un peu de mal avec mon pays…c’est en effet pas facile pour quelqu’un qui débute comme moi de prendre les rennes de….l’Autriche-Hongrie…
– … »
PS: la première version de cet article a été publiée en 2007 sur Esprits.net
Diplomacy!!!!! Que de parties endiablées dans ma jeunesse. En plus comme c’était toujours les mêmes joueurs, de lourds contentieux s’étaient créés.
Ce jeu est excellent
Une « variante » de Diplomacy repérée en zonant sur le Ouèbe. Il s’agit de « Puissances », une création originale reprenant certains traits de Diplo (en particulier le jeu diplomatique, au cœur du système), mais s’affranchit presque complètement des règles tactiques (pas de pions par exemple). Les conquêtes se décident par l’intermédiaire de votes secrets destinés à résoudre des revendications territoriales.
Le système tel que je l’ai lu sur le papier m’a semblé intéressant, d’autant qu’il est conçu pour des parties au long cours sans engagement excessif des joueurs.
Il semble que l’initiative soit toute récente et que l’arbitre soit en recherche de joueurs pour débuter un première partie (le jeu ne nécessite aucune installation, tout ce joue via messages et la partie « technique », très simple, gérée par l’arbitre).
A voir !