[Lire le début]…vous êtes-vous ainsi défiée de ses si parfaits stratagèmes ? »
Miss Marple se contenta d’un faible haussement d’épaules et, si ses joues eussent-été moins altérées par les années, on aurait pu percevoir un léger rougissement.
« L’intuition My Lady…et une pincée de chance aussi…probablement »
Cette réponse se convint à personne mais les gémissements pitoyables de Lord Moreton captèrent soudain si bien l’attention que Miss Marple pût s’eclipser dans les cuisines à pas feutrés, en se faufilant derrière la carrure massive de majordome.
Là-bas, elle pût tremper ses lèvres dans l’infusion conservée chaude par les bons soins d’un personnel de maison attentif.
Lord Moreton n’opposa nulle resistance aux hommes du Shériff qui avaient promptement répondu à l’appel de la maisonnée. Celle-ci fût donc étonnament calme avant même la minuit et bientôt, seuls O’connell et Milton poursuivaient leur conversation à voix basse dans le fumoir où les derniers convives s’étaient portés.
Aucun d’eux ne vit une heure plus tard la forme chétive de Miss Marple qui se glissait dans le jardin et remuait les feuilles mortes d’un pas traînant. A la faveur d’un croisement formé de quatres arbustes savamment taillés, elle prit à droite et s’enfonça dans la brume qui s’était formée au crépuscule. Guidée par son souvenir des jours précédents, pendant lesquels elle se plaisait à parcourir les allées de gravillons blancs, elle ne tarda pas à retrouver ce banc de marbre qui offrait au promeneur un havre invisible du manoir.
Elle s’y assit avec le geste prudent qui convenait à son corps usé et entreprit de se frotter les mains l’une contre l’autre en scrutant d’un œil alerte l’air opaque et glacial.
Entrouvrant légèrement ses lèvres parcheminées sans cesses de frotter ses membres, elle susurra « Charlie ? Charlie ? Tu es là ? ».
Un bruissement sur sa droite répondit aussitôt à son appel et bientôt une forme grisâtre apparût entre deux vastes buissons. La créature qui s’approchait était d’apparence si étonnante et sa démarche -qui suggérait celle un tout jeune enfant sans maîtrise de la marche- si grotesque qu’elle aurait été indéniablement comique s’il elle n’avait été avant tout profondément étrangère.
Charlie, puisque tel était le nom que Miss Marple semblait lui donner, eu tout le mal du monde à la rejoindre sur le banc tant il était handicapé par une taille qui ne dépassait pas trois pieds.
Elle attendit patiemment qu’il finisse sa laborieuse ascension et qu’il lâche ce qu’elle interpréta comme un soupir de contentement.
« Charlie mon petit, tu m’as encore bien aidé mais je t’en prie, la prochaine fois, lorsque tu m’expédies par tes tours mystérieux à travers le temps et l’espace, ne « vise plus si près ». Je me suis trouvé si proche de la scène que j’aurai pu tout aussi bien me faire poignarder à la place de ce pauvre Lord Plunkett. Et patienter près d’une heure durant dans cette armoire inconfortable tandis que Lord Moreton maquillait la scène, avec pour seul mire le trou de la serrure, ce n’est décidément plus un sport de mon âge… »
Les yeux néanmoins doux et clément de la vielle femme se posèrent lentement sur Charlie et celui-ci émit alors un bref éclair par l’appendice qui jaillissait de son tête. Miss Marple traduit, une fois encore, qu’il riait de sa petite farce… »
Un concept ancestral
La Murder Party, entre Cluedo et représentation théâtrale, peut sans aucun doute être considérée comme le vénérable ancêtre du jeu de rôle Grandeur Nature dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui.
Rappelons qu’à ses débuts, à l’aube du 20ème siècle la Murder Party est le loisir d’une classe qui dispose du temps et de l’aisance pour pouvoir organiser et participer à de vastes réunions de divertissement. C’est aussi par exception un jeu d’adultes.
Sous sa forme primitive, la Murder Party est avant tout un jeu de déduction. Au cours d’une soirée le plus souvent mondaine associée à un repas, s’enchaînent des événements préalablement pensés par des organisateurs. L’événement « fondateur » est bien sûr l’assassinat (fictif; rassurez-vous ) de l’un des organisateurs qui jouera tragiquement le cadavre pour la circonstance (et en apnée si possible
).
La suite sera jouée par des acteurs amateurs ou professionnels qui ont toute connaissance des tenants et aboutissants de l’histoire. Les joueurs, qui n’ont eux aucun soupçon du passé ni du futur du drame en cours sont les observateurs d’une succession de scènes figées qui regorgent d’indices sur l’identité de l’assassin. Un jeu de questions-réponses vient compléter les indices collectés à force de perspicacité. Au terme de la soirée les joueurs désignent la personne qui leur semble être l’assassin parmi les acteurs de l’histoire.
Nous sommes donc en face d’une pièce de théâtre en huis-clos inspirée des romans policiers à mystères dans laquelle le spectateur possède une possibilité d’interaction limitée ; et dans laquelle, enfin, il lui est suggéré de faire fonctionner ses méninges pour trouver le coupable.
La pratique actuelle
Sous ses formes les plus modernes, le concept s’est décliné en de nombreuses variantes, qui se sont toutes adjointes un petit nom bien à elles. L’article Wikipédia fait le point et l’inventaire des évolutions de l’idée de départ…
…Ses variantes les plus intéressantes sont celles qui « Hybrident » le concept avec celui du jeu de rôle grandeur nature et qui donnent aux participants, non seulement la place des enquêteurs, mais aussi des principaux suspects !
Aujourd’hui, la Murder party « moderne » ou « soirée-enquête » perdure et revient même en vogue puisqu’elle va jusqu’à se trouver utilisée par des sociétés privées ou associations dans le cadre de missions de coaching de leurs salariés (après le concept il y a quelques années du « je te fous tous les employés dans le désert avec un couteau suisse et du lait en poudre pour souder leurs rangs» ).
La société SPSR ( aujourd’hui disparue) a publié dans les années 90 une poignée de scénarios soirées-enquêtes de bonne facture, ceux-ci se trouvant aujourd’hui disponibles gratuitement en PdF…Elle n’est pas belle la mort ?
Le premier publié, « Série Noire à l’encre rouge » est celui dont la couverture est reproduite en début de post.
le jeu de « soirée enquête » tel qu’il est codifié actuellement, se déroule plus ou moins de la manière suivante:
Un organisateur au minimum prend connaissance de la totalité du scénario et des rôles à distribuer. Il connaît bien sûr l’identité de l’assassin ( qui sera joué par un des participants) et les évènements scriptés qui vont jalonner la soirée…Ce que vont faire les participants, par contre, il l’ignore encore mais il est certain que cela se déroulera dans les deux à trois pièces qui vont constituer « l’aire de jeu » qu’il aura défini.
Quelques semaines avant la fameuse soirée, il va de dégotter huit à dix pôtes tentés par la partie auquels il va fournir un des rôles définis par le scénario : l’histoire du personnage, sa relation avec l’affaire, ses motivations…
Il est évident que parmi ces rôles se trouve celui de l’assassin et que le joueur concerné est à l’exception de tout autre informé de sa vilaine conduite future. Tous les rôles sont conçus pour présenter un intérêt et en dehors d’une relation directe au drame principal, chacun aura quelque chose à se reprocher et/ou à obtenir auprès des autres. Je puis vous garantir que ces « Fiches de personnage », lorsquelle sont bien faites, donnent immédiatement envie d’enfiler la tunique de l’alter-ego.
Quelques jours avant la date prévue, il va envoyer par courrier les vraies-fausses invitations à chacun de ses vrais-faux invités. A ce stade, on est déjà presque dans le jeu puisque le texte de l’invitation d’adresse bien au personnage et non au joueur.
La veille du jeu, l’organisateur va remplir son frigo de petits fours, boissons et réjouissances et disposer dans les pièces prévues à cet effet les indices indiqués par le scénario ( souvent des articles de journaux, des cartes…).
Dès l’heure annoncée, les joueurs vont logiquement commencer à arriver sur les lieux de la partie et l’organisateur ( qui joue souvent le rôle du majordome ) va les recevoir en « tenant son rôle ». Il n’y a donc pas de transition ou de préparation. L’arrivée sur les lieux est aussi le moment où le jeu commence et les joueurs ne devront plus quitter leur personnage durant les trois à cinq heures que dure généralement la partie.
J’ai déjà décrit la partie centrale du jeu lui même qui pour l’observateur extérieur, s’apparente au théâtre d’improvisation. L’organisateur s’affaire d’une part à tenir son rôle sur « scène » et en coulisse à tramer les évènements qui vont donner du « nerf » et du sens à cette enquète.
Un système de point-action permettra à chacun des participants d’accomplir les activités qui ne sont pas simulables en roleplay ( comme passer un coup de fil à son informateur de Lisbonne ou encore fouiller le grenier du manoir alors que l’organisateur recoit dans un deux-pièces kitchenette ). Il s’entretiendra alors en privé avec l’organisateur qui lui donnera le résultat de son action.
La partie s’achève avec un petit questionnaire ou chacun votera pour celui qu’il croit être l’assassin et pour le meilleur « acteur de la partie ».
Quelques liens sur le sujet (conseils, scénarios, expériences, événements, photos…)
Murder-party.org (incontournable, en français) — Murder2000.com (en français) — Organiser une Murder Party en 6 étapes (guide en français)– Murdersonline.net (fansite, en français)